Enseignant, spécialiste du droit communautaire, membre de Chatham House, Institut des Affaires internationales à Londres, Emmanuel Argo préside le réseau AMI/Africa Mundus International. Karib’Info vous propose un entretien en deux volets sur sa vision sur le récent sommet Afrique-France, et le développement des pays africains.
Comment appréciez-vous la présence de membres de la société civile plutôt que celle des présidents des pays d’Afrique au récent sommet Afrique-France ?
C’est une excellente idée dans les logiques et sincérités de ceux et celles qui ont initié une telle démarche, sauf qu’ils sont dans l’erreur pour de multiples raisons. Personne n’est dupe quand on sait qu’au préalable les participants sont triés sur le volet par les ambassades, lesquelles sont les représentants directs des chefs d’État et de gouvernements. En somme, leurs yeux, leurs oreilles et, diront certains, propres à dénicher d’éventuels opposants politiques parmi la société civile, et notamment ceux vivant en diaspora : méfiance à l’égard de ceux qui ont quitté le village, le quartier ou le pays parce que la connaissance, le vécu, l’expérience développent en effet l’esprit critique et donnent des velléités ! Cette vision étriquée est commune. En France, par exemple, des édiles élus de père en fils sont convaincus d’êtres les héritiers naturels de la chose publique, au point de gérer une commune comme un bien familial défendu avec forces prébendes et prévarications avec l’aide de ce qui s’apparente à des séides. Au Sommet Afrique-France du 8 octobre à Montpellier, le leitmotiv était de parler vrai. Quoiqu’absents, les présidents africains concernés étaient néanmoins représentés par cette jeunesse qu’on croyait crédule et en retrait.
« L’initiative de s’adresser à une jeunesse cultivée est louable. »
Si préalablement il y avait eu des consultations auprès d’une société civile représentative et intergénérationnelle, il n’y aurait pas eu autant de réactions négatives via les réseaux sociaux.
Néanmoins, au-delà de ce qui peut faire polémique, l’initiative de s’adresser directement à une jeunesse cultivée dans un contexte de flux migratoires qui fait débat dans l’Hexagone, est louable pour aborder des questions de développement économique puisque cette jeunesse contient en son sein les dirigeants de demain, lesGlobal Leaders for Tomorrow.Ce sont eux qui devront faire face à des défis géostratégiques, politiques et climatiques. A l’heure où l’on constate la perte d’influence de l’Occident dans les grands enjeux mondiaux, le président Macron voudrait-il amorcer une transition inévitable, mais délicate eu égard à un passé colonial qui a fait et fait encore la richesse et la puissance de plusieurs états de l’Occident ?
Selon vous, la disparition du Franc CFA est envisageable ?
Parler de franc renvoie au passé colonial de la France qui a toujours voulu maintenir sa présence sur ce vaste continent malgré les indépendances des Afriques. La pression de la jeunesse émancipée d’une société civile active et rompue aux nouvelles technologies, de surcroît, ouverte au reste du monde avec l’appui des réseaux sociaux, change désormais la donne. Cette demande, qui n’est pas nouvelle, est un symbole très fort d’émancipation, mais si rien n’est fait quant à l’émancipation économique et sociétale des pays, notamment ceux qui détiennent des richesses minières et naturelles que l’Occident et l’Asie se disputent, rien ne changera.
« Une unité monétaire panafricaine indexée sur les métaux rares. »
Quant à nous, soutenus par un groupe de réflexions du réseau Africa Mundus International /AMI, nous proposons la création d’une unité monétaire panafricaine indexée sur la base du cours d’une Short List de métaux rares les plus demandés en Occident et en Asie.
Cette question d’unité monétaire devrait trouver son épilogue sur la base d’une entente panafricaine pour faire face aux nécessités normatives qui bénéficieraient à une population de plus de 2 milliards de personnes. N’oublions pas qu’en Afrique l’immigration est avant tout une immigration intérieure, mais aussi pour juguler une concurrence économique de plus en plus féroce avec l’ASEAN, le MERCOSUR et autres groupes de pays leaders de la planète.
Quelles seraient les conséquences ?
Avec la disparition du franc CFA, il y a un désir d’émancipation à la fois politique, économique et une volonté de mettre fin à l’ingérence de la France. Les pays se pressent autour des chefs d’Etat et autres décideurs africains qui veulent désormais choisir leurs partenaires. Mais, ce n’est pas tout. Actuellement, indépendamment de la question politique des réfugiés, celle de l’immigration économique est une préoccupation en Europe ; des murs se dressent sur ses frontières ; cette situation ne pourra être réglée qu’à la condition que les pays africains s’émancipent des FMI, autres banques et institutions occidentales, de sorte que, sortis de ces tutelles, leur économie décolle. Ainsi, d’obligés ils deviendront des partenaires respectés des pays qui ont besoin de leurs matières premières minières, naturelles ou agricoles.
« Mettre fin aux pillages. »
Rêvons un peu : en admettant que le président Macron impulse une transition vers de nouvelles relations politiques et économiques, les entreprises africaines devront être prêtes à négocier des partenariats sur la base d’échanges équitables pour mettre fin à ce qui s’apparente depuis longtemps à des pillages.
Pour l’instant, ces pays reçoivent de pays tiers des « Aides au développement » auxquelles s’ajoutent les envois d’argent des diasporas qui irriguent les économies locales, ces Remittances qui font l’objet de commissions prélevées par l’industrie de transfert d’argent. Je propose qu’à l’instar de l’imposition des GAFAM à hauteur de 15% qui vient enfin d’être adoptée, les sociétés françaises gérantes d’infrastructures portuaires, aéroportuaires, sans oublier celles exploitant, prélevant et exportant hors des Afriques les matières premières brutes et semi-finies, s’acquittent d’un octroi (taxe-développement) avant embarquement pour financer la construction et l’entretien des infrastructures locales. Adopter de telles mesures sans délai montrerait la sincérité d’une volonté pragmatique de partenariat équitable.
« Est-on déjà dans la transition ? »
À ce moment de l’Histoire où vont se jouer de nouvelles influences, et pour ne pas réitérer les injustices d’autrefois, à l’heure où les solidarités et les partenariats doivent l’emporter sur les rivalités et les épreuves de force face aux défis du changement climatique et aux bouleversements démographiques, l’heure est donc à la transition et à l’anticipation, mais surtout au respect des partenaires et au dialogue.
Un bémol pourtant : pour séduire cette jeunesse émancipée, le président des Français propose un fonds de soutien à la démocratie de 30 millions d’euros sur trois ans, une aide de 4 millions à destination des sportifs, ou bien encore la création d’une maison des mondes africains et diasporas. Est-on déjà dans la transition ? Il semble plutôt qu’il s’agisse malheureusement d’une politique peu innovante et sans rupture avec les habitudes de ses prédécesseurs. Concernant les conséquences de la suppression du Franc CFA, j’ai confiance en la sagacité des populations des Afriques qui commencent à se parler, malgré les barrières linguistiques qui au demeurant n’en sont plus, notamment chez les élites. Des pays francophones comme Madagascar, l’Algérie ou le Gabon, pour ne citer qu’eux, négocient actuellement leur adhésion au sein du Commonwealth.