Extrait du numéro 135 d'avril 2022 d'Hommes d'Afrique Magazine. Pages 57-59
L’Africa Mundus :
Au début des années 2000, sous la dénomination d’Africa Mundus, dont je suis l’auteur, j’avais conçu un programme de formations professionnelles destiné aux diasporants africains et ‘'afro-descendants’’ vivant en Grande-Bretagne. J’ai repris ce terme pour lui donner un sens plus général, à savoir le regroupement de 6 régions : les 5 régions du continent africain auxquelles s’ajoute la 6ème région constituée par les diasporas nationales d’Africains et ‘'d’afro-descen- dants’’ répartis à travers le monde. Concernant ce raccourci familier, selon le vocable utilisé par les Nations Unies, il convient de dire : Personnes d’ascendance Africaine. Cette 6ème région est reconnue par l’Union Africaine.
Le terme d’Africa Mundus vise à montrer :
– Les paradoxes du continent africain : richesses minières et ressources naturelles versus pauvreté endémique
– La sixième région : diasporas et populations afro-descendantes
– L’importance économique des rémittences/Remitt@nces : L’importance économique des diasporas africaines continentales et des ‘'afro-descendants’’ via les envois d’argent au pays et à la région d’origine ainsi que leur contribution à tous les secteurs économiques, scientifiques, technologiques et culturels des pays d’accueil.
– La NégroÉvolution : un concept qui met fin aux clichés
Les paradoxes du continent africain
S’agissant du continent africain, il est un paradoxe qu’il faut avant tout énoncer : comment expliquer que les populations de plusieurs pays dont les ressources naturelles et minières sont importantes, voire considérables, et même indispensables à l’économie et aux technologies des pays riches, sont obligées de venir majoritairement en Europe pour fuir une pauvreté endémique ? Si l’on veut ralentir l’exode des migrants économiques, les entreprises internationales qui puisent sans limites des ressources ou disposent de vastes territoires pour cultiver des végétaux (fleurs, fruits, légumes...) à destination de l’Occident doivent financer le développement des pays où ils sont installés. En 2018, le Commissaire Européen à l’Économie et aux finances entreprenait une croisade pour taxer et faire payer en Europe les GAFA ainsi que d’autres groupes internationaux asiatiques du secteur. Une telle initiative ne devrait-elle pas pouvoir s’appliquer aux entreprises étrangères et à leurs filiales ? En outre, une taxe ou un « Éco-octroi » sur les matières premières exportées, brutes ou semi-transformées, pourrait être prélevé-e- au moment de l’embarquement aérien, ferroviaire, fluvial, maritime et routier. Pour l’instant, c’est l’envoi d’argent des membres des diasporas africaines qui irriguent en bonne partie les économies locales. À titre d’exemple, selon la Banque Mondiale, « les envois de fonds par ses diasporas nationales vers l’Afrique subsaharienne ont grimpé de pratiquement 10 % en 2018, à 46 milliards de dollars, à la faveur des bonnes performances dans les pays à revenu élevé. En part du produit intérieur brut, les Comores se taillent la part du lion, devant la Gambie, le Lesotho, le Cap-Vert, le Libéria, le Zimbabwe, le Sénégal, le Togo, le Ghana et le Nigéria ». Même si cet apport n’est pas négligeable, il ne peut à lui seul financer les infrastructures indispensables. En attendant que des réformes et autres décisions soient prises dans le sens d’une véritable équité à l’échelle internationale, nous devons accueillir les mouvements migratoires pour des raisons humanitaires, mais également par nécessité. En effet, quoi qu’en disent certains candidats Français à la fonction présidentielle de mars 2022, l’Occident vieillissant ne peut pas se passer de cet apport de gens jeunes, souvent diplômés et adaptables puisque déjà formés aux nouvelles technologies. Ainsi faut-il distinguer migrants économiques et réfugiés, que ce soit pour des raisons politiques ou climatiques.
La Diaspora, sixième région de l’Afrique, compte près de 350 millions d’individus. Elle possède d’énormes capacités.
La force économique d’une diaspora spécifique : la sixième région
Elle est composée en tout premier lieu des afro-descendants dispersés dans les Amériques et l’Océan Indien, c’est-à-dire tous ceux qui sont issus de la déportation massive de près de 8 millions d’hommes et de femmes achetés ou capturés sur les côtes ouest de l’Afrique pendant trois siècles de traites négrières auxquelles s’ajoutent les africains importés des colonies pour raison économique puis ceux qui fuient la pauvreté ou les guerres depuis un demi-siècle. Ils ont adopté, intégré, voire assimilé les cultures, us et coutumes locales tout en transmettant aux générations suivantes leurs traditions ancestrales ramenées des Afriques.
Ces hommes et femmes, noirs de peau ou métissés et de type négroïde, forment à eux seuls une 6ème région que l’Union Africaine a décidé d’ajouter aux 5 régions continentales. Bien que virtuelle, elle regroupe près de 350 millions d’individus selon certaines organisations internationales, tous issus de diasporas africaines, nationales ou afro-descendantes réparties aux quatre coins du monde comme en Méso-Amérique, aux Caraïbes, en Europe, en Indopacifique et même en Asie. Les membres de cette large diaspora composite irriguent désormais tous les secteurs d’activité, qu’ils soient culturels, politiques, technologiques, financiers, scientifiques... et participent à une interpénétration d’expériences, de compétences et de savoirs interrégionaux.
Les diasporas nationales africaines
Les Afriques anglophones, arabophones, francophones, hispanophones, lusophones sont perçues comme une source inépuisable de matières premières de première nécessité : cobalt, cuivre, lithium, or, diamants, graphite, uranium, pétrole... mais également comme une source inépuisable d’une main-œuvre souple et mobilisable rapidement. L’Union Européenne est composée d’anciennes nations qui ont déporté des millions d’individus pendant 3 siècles pour les asservir dans la production de bois précieux, coton, sucre, café, cacao, tabac, indigo et autres épices sur d’autres continents. Au 19ème siècle, ces mêmes nations ont colonisé l’Africa Mundus. Pendant les 2 guerres mondiales, les ressortissants africains et les afro-descendants ont servi de chair à canon. Après les indépendances des années 60, le néocolonialisme a mis en place, sous couvert d’une aide au développement, une ingérence politique et économique qui a maintenu l’avancée économique de l’Occident et enrichi des entrepreneurs européens. Désormais, plusieurs pays africains veulent s’émanciper et choisir leurs partenaires. En attendant des jours meilleurs, nombre de laissés-pour-compte fuient la misère et l’insécurité pour s’expatrier en Occident, majoritairement. Ces flux migratoires entraînent, de la part des occidentaux, des attitudes racistes et négrophobes. Quand on examine la localisation des diasporas africaines, on constate leur présence dans tous les continents : Asie – Japon et Chine, Amérique et sud et du nord : Brésil, USA et Canada et surtout Europe : France, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Suède, Norvège, Espagne, Portugal, Italie, Allemagne et Russie. Cet ensemble de diasporas irrigue tous les secteurs économiques et à tous les niveaux de compétences, de l’ouvrier, l’artiste, l’ingénieur en passant par l’enseignant, le médecin, le chercheur, etc.
Non seulement elles génèrent ce que j’ai appelé des Remitt@nces qui sont envoyées dans les pays d'origine, mais participent à l’économie des pays d’accueil sous la forme d’impôts et autres taxes, cotisations sociales, etc. C’est pourquoi, en 2006 à Moscou, en tant que rapporteur général d’une conférence plénière de la société civile du G8 présidée par Vladimir Poutine de la Fédération de Russie, j’ai porté, comme recommandation, la fin du monopole des sociétés d’envoi d’argent telles que Western Union et la baisse des taux exagérés des commissions prélevées. Cette action qui profite à tous ceux sans distinction d’origine ou de nation, qui envoient de l’argent à leur famille restée au pays partout dans le monde, a été saluée par le Prix Nobel de la Paix Lech Walesa, ancien président de la Pologne, dans la préface qu’il a écrite pour mon livre que j’ai intitulé : Main basse sur l’argent des pauvres. Merci aux Remitt@nces.
''Le phénomène des rémittences devrait être analysé de très près comme un processus ayant des liens étroits avec l’investissement, la solidarité et l’humanité’’. C’est par ces mots que j’avais conclu mon intervention en 2007 lors d’une conférence du G8 civil à Berlin, en présence de Muhammad Yunus autre Prix Nobel de la Paix, originaire du Bengladesh, connu pour ses initiatives en matière de microcrédits, qui avait soutenu mon plaidoyer en même temps que l’ancien président du Bénin Boni Yiayi. En me recevant au Vatican en 2013, le pape François m’a encouragé pour mon action et ma cause qu’il considère d’intérêt universel. À cette occasion, je lui ai offert un exemplaire dédicacé de mon livre.
Je constate actuellement que dans des pays de l’Union Européenne, des regroupements autochtones influencent l’opinion publique en faisant pression sur les gouvernements parce qu’ils rendent responsables les mouvements migratoires de l’insécurité et des inégalités. Il s’ensuit des tensions sociales et un rejet des diasporas, qu’elles soient -africaines ou non installées temporairement ou bien durablement. Aussi, pour éviter l’impopularité, des gouvernements se désengagent des quotas fixés par des instances de l’Union Européenne et abandonnent la gestion des migrants à des pays tiers moyennant finance. Les flux migratoires sud-nord ne cesseront pas dans les années à venir, notamment pour des raisons climatiques. Cette question s’inscrivant désormais dans les temps longs de l’histoire, il appartient aux pays européens et plus généralement occidentaux, individuellement ou collectivement, d’y apporter une réponse à la fois nouvelle, instruite et cohérente, et qui engage une pérennité des principes et d’actions.
EMMANUEL ARGO
Descendant d’Africains déportés et vendus comme esclaves durant la Traite négrière. Enseignant- chercheur honoraire de la faculté de droit des universités en France. Elu, conseiller municipal en France au titre de la Société Civile. Président du réseau virtuel international : AMI/ Africa Mundus Institut. Membre de Chatham House en Angleterre. Promoteur de la proclamation des Nations Unies pour la Décennie internationale des personnes d’ascendance Africaine 2015-2024.