Cet article est extrait du journal le Mauricien ( www.lemauricien.com/Emmanuelargo )
Les récentes élections présidentielles au Costa Rica et en Colombie ont élu deux vice-présidentes afro-descendantes. Dans les Caraïbes et l’Amérique du Nord, le choix de personnes d’ascendance africaine n’étonne donc plus. Cependant, dans le reste du monde, même si ces choix ont été célébrés, ils surprennent néanmoins.
Epsy Campbell Barr et Francia Marquez ont en commun d’être issues de la diaspora historique descendante d’esclaves venus des Afriques. Leur pays fait partie de ce que l’Union africaine a désigné comme « sixième région ». Depuis cette reconnaissance, les cinq régions continentales auxquelles s’ajoute la sixième constituent ce que des ressortissants de la société civile et des cercles de diplomatie non gouvernementale appellent l’Africa Mundus. Cette sphère permet une vision géostratégique visant à faciliter toute initiative d’intérêt général économique à ses ressortissants et collatéraux répartis aux quatre coins de la planète.
L’élection de mesdames Epsy Campbell Barr et Francia Marquez conforte la proclamation de la décennie internationale des personnes d’ascendance africaine 2015-2024 votée par l’Organisation des nations unies. Si l’ONU reconnaît plus de 350 millions de citoyens ultravisibles parmi d’autres populations de la planète, l’État français, quant à lui, ne s’est jusque-là guère empressé de faire vivre sur ses territoires métropolitains et ultra marins, des initiatives permettant de faire connaître une telle décision universelle venant pourtant à échéance dans deux ans.
Nos spécificités des Afriques sont encore amplement caricaturées dans le monde et l’élection de ces élues déjà citées, permet de reconnaître non seulement les communautés noires de ces deux pays, mais aussi de toute l’Amérique latine dans sa singularité et celles des îles d’Afrique de l’océan Indien déjà intégrées dans la Communauté de Développement d’Afrique Australe. Ces élections valorisent l’importance de nos contributions communes d’afro-descendants historiques et autres ressortissants de la sphère Africa Mundus.
Considéré comme une querelle de familles de l’ancienne URSS/Union des républiques socialistes soviétiques, la majorité des pays de la sphère Africa Mundus qui se sent peu concernée par le conflit actuel entre l’Ukraine et la Russie, veut rester neutre. Cependant, ils sont concernés quand ils constatent les difficultés d’acheminement des céréales. L’Union européenne, les États-Unis d’Amérique et d’autres pays de l’Otan ayant pris le parti de l’Ukraine voudraient fédérer les peuples de la terre entière pour une tentative d’isolement de la Russie. En restant neutres, la plupart des pays de l’Africa Mundus nous rappellent implicitement un douloureux passé colonial, le lourd tribut payé pendant les deux dernières guerres mondiales du vingtième siècle et l’accaparement des ressources minières de son sol. Des descendants de tirailleurs conscrits et souvent enrôlés de force, disent familièrement qu’ils ont déjà donné.
Depuis le mois de mars 2022, alerté par l’augmentation exorbitante du prix de vente de la semoule de blé et celui de la farine destinée à l’alimentation quotidienne, mais ne pouvant me déplacer personnellement à Moscou pour des raisons familiales, en accord avec des diasporants résidant en Russie, j’ai pris l’initiative de proposer la création de couloirs multimodaux pour l’avitaillement alimentaire (blé, maïs, semences, engrais ...) destinés aux Afriques mais aussi dans des pays d’Amérique latine, de la Caraïbe et du plateau des Guyanes où habitent des populations de la 6e région. Il s’agit de prévenir des émeutes populaires, à l’instar de celles qui ont provoqué lesdits printemps arabes de 2008, et de pointer les effets négatifs d’une globalisation qui montre ses limites et paradoxes. L’autonomie alimentaire de chaque pays de la planète et les résolutions de la COP 21 sont plus que jamais une question cruciale d’ordre mondial.
L’ouverture de corridors d’avitaillement alimentaire depuis l’Ukraine et la Russie est indispensable au maintien et à la stabilisation de la paix civile. Inutile d’ajouter d’autres conflits à celui qui oppose les deux pays de l’Est européen dont l’issue semble incertaine. Soutenue par nombre d’associations, cette initiative permet de souligner l’effet levier du principe réaliste et pragmatique de NégroÉvolution dans le cadre d’un conflit aux répercussions mondiales.
La rencontre des présidents de l’Union africaine et de la Fédération de Russie qui s’en est suivie, atteste du résultat d’initiatives et de plaidoyers de diasporants de la société civile africaine.
Au sommet annuel des pays du G7 réunis en Allemagne le 26 juin dernier où figuraient les enjeux de la sécurité alimentaire, de la transition et de la souveraineté énergétique, étaient spécialement invités : l’Union africaine, l’Inde et l’Afrique du Sud, ce dernier étant membre des BRICS, outre sa qualité de membre naturel de l’UA. Tout ceci démontre une fois de plus l’importance des Afriques dans de nouvelles approches géostratégiques, économiques et diplomatiques planétaires. Mais ne soyons pas naïfs : les populations de l’Africa Mundus ne seront pas les seules bénéficiaires de l’ouverture des corridors car, au passage, les profiteurs de guerre et autres accapareurs, les sociétés intermédiaires d’exportation globale de produits agricoles et de l’agrobusiness, occidentales pour la plupart, sauront prendre leur part.
Pour sa réélection comme député à l’Assemblée nationale française, l’actuel ministre de l’Agriculture français, distribuait sur un marché local des tracts aux chalands. J’en ai profité pour lui faire part de mon initiative auprès de la Russie. En outre, j’ai officiellement communiqué cette information au conseil municipal de la commune où je suis élu sans appartenance politique.
La récente ouverture de corridors via la Turquie pour l’acheminement des céréales produites en Ukraine et en Russie, satisfait tous ceux qui, avec moi ont porté cette initiative. Je les remercie très vivement. Cependant, cela soulève une autre question.
Avec une perspective démographique de près de 2 milliards d’individus sur le continent africain, il est nécessaire de valoriser les productions locales. Quelques sociétés de négoce cotées sur les plus grandes places boursières et financières du monde y exportent une pitance de substitution : Blé, pommes de terre, etc... éloignés des habitudes alimentaires traditionnelles : manioc, millet, sorgho, riz, bananes, patates douces, ignames, fruits à pain, etc. Aujourd’hui, la production et la transformation maitrisée de ces produits doivent être vivement encouragées dans le cadre d’une responsabilité sociétale associant producteurs, consommateurs et puissance publique. Des terres arables sont disponibles mais elles sont actuellement mises à disposition d’entreprises privées asiatiques, européennes, entre autres, qui les utilisent pour satisfaire des besoins qui ne concernent pas toujours les populations locales. C’est pourquoi les Afriques ne doivent plus être en quête permanente de subsides, mais mettre en place des relations de partenariats équitables dans le but de faciliter la cohésion sociale et de satisfaire dignement les besoins des populations. Cette nouvelle forme d’indépendance se fait dans le choix de nouveaux partenaires économiques et technologiques extra- coloniaux. Ainsi, le réseau Africa Mundus propose la création d’un Consortium d’associations et organisations économiques et sociales de la société civile incluant notamment des chefs et leaders de chefferies et communautés traditionnelles à qui il incombera de proposer aux autorités publiques de fixer, aux frontières, des prix de base pour les importations de grains destinés aux régions les plus pauvres et défavorisées.
Emmanuel_Argo est auteur du concept de La NégroÉvolution
Il est membre du réseau Africa Mundus : www.africamundus.org
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