Cet article est extrait du journal le Mauricien ( www.lemauricien.com/Emmanuelargo )
Ma première rencontre avec Nelson Mandela, dont nous célébrons le centenaire en ce l8 juillet, eut lieu en 1993 à son bureau de l’ANC/African National Congress à Johannesburg. J’étais venu lui présenter un programme de formation coordonné par l’Université de Rouen en France qu’il a accueilli avec intérêt. Il s’agissait d’un projet d’appariement entre plusieurs universités européennes regroupées dans un programme nommé Erasmus et leurs équivalentes de la nouvelle Afrique du Sud que je lui avais présenté. Ce programme de développement économique et culturel spécialement conçu, s’intitulait : SAFIR/ Southern African Institute for International Relations. Sa prestance, sa simplicité et son accueil chaleureux, sa grande taille et sa ferme poignée de main m’ont impressionné. C’était à vrai dire surprenant de rencontrer un personnage de cette envergure dont la dignité cachait les épreuves d’une détention de 27 ans passée majoritairement à Robben Island, petite ile située près de la ville du Cap et comparée à la tristement célèbre Alcatraz de San Francisco aux USA.
Lui ayant posé la question de savoir s’il n’avait pas pensé s’évader, après réflexion, il me répondit qu’en fin de compte, il aurait été probablement abattu. Charismatique, érudit, doué d’une autorité naturelle et conscient de sa valeur intellectuelle, il restait pourtant simple. Aussi, après m’avoir dit quelques mots sur Jeanne d’Arc, parlé des ‘‘boys’’ soldats sud-africains tombés lors du débarquement en Normandie en 1944, il aborda le sujet de la Martinique dont je suis originaire, d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon. Il estima qu’en outre, d’autres Afro descendants historiques devraient être pris en compte dans une renaissance de l’Afrique du Sud.
Cela augurait à la fois, la création de la 6e région par l’actuelle Union africaine, la dénomination de l’ensemble des 6 régions réunies par le terme générique d’Africa Mundus utilisée par la société civile, ainsi que la proclamation par l’ONU de la décennie internationale des personnes d’ascendance africaine 2015-2024.
Comme un signe du destin, mon intérêt pour les Afriques date de ma rencontre à Bruxelles dans les années 1980 avec feu l’Ambassadeur Raymond Chasle mauricien d’origine, lequel était à ce moment-là, Secrétaire général de la Fondation pour la coopération culturelle ACP–CEE. Devenu membre de la fondation, j’ai été invité en décembre 1989 à la cérémonie de signatures de la Convention de Lomé IV. ACP-CEE.
À cette occasion, ce fut mon premier contact avec des Sud-Africains militant pour la libération de Nelson Mandela. Il s’agissait d’une troupe de théâtre itinérante appelée Sarafina, venue sensibiliser les dirigeants de la Commission des Communautés européennes présents à la convention. Pour la première fois, hors de son pays, Sarafina représentait la répression sanglante de Soweto du 16 juin 1976 qui allait éveiller à travers le monde des consciences de toutes origines. Tout cela est parti d’une banale manifestation d’élèves protestant contre une décision administrative et l’obligation de parler l’afrikans à l’école. Les tanks de la police sud-africaine n’ont pas hésité à tirer sur des écoliers de ce township. Sans violence, Sarafina avait recours à la diplomatie non gouvernementale pour dénoncer l’apartheid. Les actions de désobéissance civile auront engendré des générations dites perdues/lost generations.
Une fois élu, Nelson Mandela lancera par tous moyens de communication, un programme intitulé RDP/Reconstruction & Développement, promouvra la diversité, la tolérance et le respect des différences à la fois ethnique, culturelle et linguistique.
En tant que président de l’ANC, soutenu notamment par le Secrétaire général Cyril Ramaphosa, il avait coordonné un programme majeur intitulé Ready to Govern/prêts à gouverner prévoyant, entre autres, la mise en place de l’Affirmative action autrement appelé discrimination positive. Des instances ou organismes comme la Convention pour une nouvelle Afrique du Sud démocratique /CODESA, ou encore la Commission vérité & réconciliation/ TRC : Truth & réconciliation, une commission présidée par l’Archevêque et Prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, n’ont pas failli. La TRC avait pour but de réconcilier le pays en recueillant les doléances des victimes de l’apartheid et en les confrontant aux aveux des coupables. Des réparations étaient parfois obtenues.
À Kempton Park situé près de l’aéroport de Johannesburg, là où se tenaient les réunions préparatoires à la nouvelle Constitution, Nelson Mandela et le président en exercice de l’Afrique du Sud, Frédérik de Klerk, se côtoyaient ainsi que les autres leaders tels que le Chef Mangosuthu Buthelezi du parti Inkata et aussi Premier ministre du bantoustan autonome du KwaZulu de 1976 à 1994.
C’était pour moi, qui assistais à ces réunions en tant qu’observateur, un symbole très fort.
Habileté et charisme ont permis au futur président de la nation arc-en ciel comme il aimait à dire en parlant de son pays, de fédérer les composantes les plus diverses à l’exception de l’aile la plus radicale d’un parti paramilitaire d’extrême droite : L’Afrikaner Weerstandsbeweging /AWB que symbolisait et personnifiait à la fois son porte-drapeau Eugène Terre’ Blanche qui avait refusé de participer. Le Prix Nobel de la Paix que Nelson Mandela reçut en 1993 conjointement avec Frédérik de Klerk en témoigne.
En 1994, Nelson, Rolihlahla Mandela, dont le nom de clan tribal et familier à la fois est ‘‘Madiba’’ est élu premier président noir de l’Afrique du Sud. Fin stratège et d’une haute valeur morale pour mieux servir la paix, avant tout homme de devoir, Nelson Mandela a œuvré pour la libération d’un peuple trop longtemps humilié et soumis. Convaincu des potentialités de son pays et de la nécessaire coopération entre les différents états africains, il a contribué à l’essor croissant de la Communauté de Développement d’Afrique Australe /SADC.
D’ailleurs, c’est à Port-Louis que j’ai eu le privilège de participer à la dernière réunion annuelle des chefs d’État et de gouvernement de la SADC qu’il présida en septembre 1998. L’accueil des autorités mauriciennes fut des plus remarquables avec un sens de l’hospitalité de très haute tenue facilitant par là les travaux.
À la différence de certains chefs d’État du continent africain, comme celui qui est en poste depuis 47 ans grâce au soutien de certains gouvernements occidentaux, en démocrate convaincu, Mandela ne s’accrocha pas au pouvoir, ni non plus ne profita de ‘‘biens mal acquis’’. Ainsi peut-on affirmer que Nelson Mandela est un père de la NégroÉvolution avant la lettre, ayant su montrer aux suprémacistes de tous poils, les limites de leurs convictions.
*Emmanuel_Argo, est un Afro descendant historique, grand témoin de la transformation de l’Afrique du Sud, il a été contributeur auprès de l’ANC, Consultant pour le Ministère de l’Éducation et de la Formation du gouvernement de Nelson Mandela auprès de la Commission européenne puis ; ancien Conseiller spécial de la SADC. Auteur du concept de La NégroÉvolution, il est membre du réseau Africa Mundus www.africamundus.org
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