Par Emmanuel Argo
Dorénavant, un fait est acquis, la Grande-Bretagne veut faire cavalier seul au regard de ce qu’elle considère comme ses meilleurs atouts : ses universités avec leurs pôles Recherches et Développement, cf. (laboratoire britannique Astra Zeneca) , le « soft power » inhérent à sa langue, la finance, la diplomatie, la cyber sécurité, ses fondements démocratiques…
D’ici 2030, elle espère devenir le cœur de la finance mondiale en tant que Global Broker, c’est-à-dire le courtier de la planète, dépassant ainsi les USA, la Chine et l’Inde. Dans cette perspective, il est évident que la Grande-Bretagne veut avoir les coudées franches et n’avoir aucun compte à rendre à l’U.E. La gestion de la pandémie du Covid 19, la présidence du G7 et la co-présidence de la Cop 26 de cette année 2021 sont pour les britanniques les premiers tests sensibles de l’ère post-Brexit. Dans un de mes articles publié les 10 et 27 avril 2018 dans des journaux Français et étrangers et qui portait ce titre : « Boris Johnson : Après le Brexit, le Commonwealth ? » j’indiquais que, face aux alarmistes européens, la Grande-Bretagne en s’émancipant de l’U.E., comptait sur des puissances émergentes du Commonwealth (dont la reine est le chef) comme l’Inde, grand rival de la Chine, ou encore le Nigéria et l’Afrique du Sud, tous deux riches en ressources et matières premières.
Cependant, il semble qu’une série de petits pays de ce même Commonwealth soient les oubliés du Brexit à cause du rétablissement des barrières douanières entre la Grande Bretagne et l’Europe, c’est pourquoi, avant la tenue du referendum sur le Brexit, j’avais proposé que les ressortissants anglophones de ses pays du Commonwealth de la Caraïbe, à l’instar de leurs ressortissants du continent britannique, soient consultés et contribuent activement aux multiples débats organisés tant par le 10 Downing street que par des institutions de la société civile. En effet, la question de la liberté de circulation des citoyens des territoires britanniques de tous ordres dans l’U.E me semblait fondamentale, d’autant que ces pays anglophones de la Caraïbe sont proches voisins des îles françaises des Antilles que l’on appelle des régions ultrapériphériques européennes – RUP. Désormais, les caribéens, sujets de la reine d’Angleterre, même titulaires d’un passeport britannique, n’ont plus droit aux mêmes libertés, et notamment celle d’aller et venir en Europe comme avant. Ceci vaut également pour les soins hospitaliers ou les opérations financières vers des banques européennes premium.
Quant aux paradis que représentent encore les îles de la Caraïbe pour les touristes britanniques, désormais hors de l’U.E, ceux-ci risquent de se transformer au mieux en purgatoire, sinon en enfer, si d’aventure les cours de la livre sterling venaient à chuter. Un déclin économique de ces îles s’ensuivrait avec son lot de suppressions d’emplois et autres conséquences sociales. Déjà la pandémie de Covid 19 et la fermeture des frontières européennes, et donc celles des RUP les ont fragilisées.
Mais peut-être, est-ce là une occasion pour les outremers français des Antilles et de Guyane que d’envisager avec eux une coopération nouvelle dans des domaines variés comme ceux de l’agriculture, des sciences et technologies etc… d’autant qu’ils partagent une histoire et une langue communes, le créole. Ainsi rien n’est perdu pour ces grands oubliés que sont les îles de la Caraïbe anglophone avec lesquels les RUP pourraient mettre en place des partenariats renforcés dans les secteurs commerciaux, techniques, scientifiques et culturels d’autant qu’ils rencontrent les mêmes problématiques d’ordre environnemental (sargasses). Pour information, les Antilles françaises sont partie intégrante des premières puissances du monde ayant porté notamment les accords de Paris dits Cop 21.
A l’instar des pays constitutionnellement liés à la Grande-Bretagne par le Commonwealth, les RUP peuvent être considérées comme une sorte de continuum et à la fois, hubs francophones et créolophones de l’U.E dans les Caraïbes et la Méso-Amérique, avec tout ce que cela implique comme compétences et expertises dans les domaines suivants : prévention et gestion des catastrophes d’origine naturelle (cyclones, montées des eaux, etc.), autonomie énergétique et protection de l’environnement, centres de Recherche & Développement publics/privés, infrastructures et plateaux médicaux de nouvelle génération, espaces sanitaires mutualisés pour les maladies inter tropicales ou les pandémies mondiales. De plus, il conviendrait de porter son attention à « l’industrie bleue » – expression qui recouvre l’exploitation et la transformation des ressources marines – conférée par la zone économique exclusive (domaine maritime et océanique). La « Décennie de l’Océan 2021-2030 » proclamée en décembre 2020 par l’Organisation des Nations Unies arrive opportunément. Il s’agit là d’enjeux considérables liés aux sciences océaniques qui entraîneront une coopération portée par des partenariats d’un nouveau genre à laquelle les oubliés du Brexit dans la Caraïbe, pourront être des partenaires économiques non négligeables.
La Décennie internationale (2015-2024) des personnes d’ascendance africaine qui a été proclamée par l’Assemblée générale dans sa résolution A/RES/68/237, fournit un cadre solide permettant aux Nations Unies, aux États Membres, à la société civile et aux acteurs concernés de joindre leurs forces à celles des personnes d’ascendance africaine et de prendre des mesures concrètes pour la mise en œuvre du programme d’activités dans un esprit de reconnaissance, de justice et de développement. C’est une opportunité qui permettrait aux ressortissants de toute la Caraïbe RUP comprises, vivant en diaspora à travers le monde, d’effectuer leur ‘‘retour au pays natal’’ pour exercer leur expertise et compétences professionnelles.
Pour ce faire, il apparaît donc nécessaire de mettre en place un Pool de coopération de plein exercice pour fédérer les partenaires qui s’appuiera sur des dispositions administratives, législatives et financières à adapter aux nombreuses opportunités économiques existantes, eu égard au positionnement de la France à travers le monde. Et ce positionnement, conforté par ses RUP et son immense zone Economique Exclusive, qui pourraient l’autoriser à installer ce Pool sur son territoire. La clef-de voûte reste les accords de partenariats entre les dits pays ACP (Afrique. Caraïbes. Pacifique) et ceux de l’Union Européenne plus connus sous l’acronyme ACP-UE qui offrent des moyens et dotations financières peu sollicités face aux Fonds structurels (FEDER et FSE) européens habituellement destinés aux RUP.
A partir de janvier 2022 France prendra la présidence du Conseil de l’Union Européenne, le temps n’est-il donc pas venu de mettre en place ce POOL de Coopération de plein exercice qui prendrait en compte le déficit de partenariat avec les pays ACP voisins ?
1 RUP : Régions Ultra périphériques Européennes dont Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion
2 Emmanuel Argo a travaillé en Martinique où, en outre, il est à l’origine de l’installation de l’Union régionale du syndicat de l’encadrement CFE-CGC. Juriste dans un cabinet d’avocats à Paris, il a également enseigné à la faculté des universités le droit Européen. En Afrique australe, Il a été contributeur au sein de plusieurs institutions et conseiller de plusieurs gouvernements. Avec l’Institute for Business Innovation de l’Université de Prétoria en Afrique du Sud, il est co-auteur du livre intitulé : Regional Integration – Economic Partnership for Eastern and Southern Africa. ISBN 978-620-38462-9. Par ailleurs, comme représentant de la société civile au titre de l’Angleterre, il a porté de nombreuses recommandations auprès d’instances internationales comme des Sommets du G8 civil. Il est membre de la Société d’histoire de l’université d’Oxford et à Londres, membre de Chatham House/The Royal Institute for International Affairs. En France, dans la Région du Centre-Val-de-Loire, il est élu conseiller municipal de Thésée et membre de la Commission de Développement Économique de la Communauté de communes du Val- de Cher-Controis.